Compagnie théâtrale des Déniapés

Petite histoire

de la Compagnie des Déniapés

En cette fin d’année 2023, la Compagnie des Déniapés peut regarder en arrière ses douze ans d’existence. C’est une troupe de théâtre un peu particulière, née dans un CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) en juin 2011, plus précisément au Foyer du Renouveau rue Marceau à Dijon. Ce centre d’accueil soigne et accompagne des personnes désocialisées, touchées par les addictions (l’alcool en particulier).

Spectacle "Maison Close" au Festival de la Plaine en octobre 2018

Une enseignante en retraite bénévole, Suzy, avec l’accord de la direction du foyer, avait décidé de donner de son temps pour accompagner les résidents dans des activités de loisir, marche entre autres. Elle avait aussi mis en place des ateliers jeux et des ateliers d’écriture auxquels participaient une petite dizaine de personnes. Une liberté d’expression et de ton qui a donné naissance à des saynètes sur la vie des résidents. Les membres de l’atelier ont tout logiquement demandé à Suzy de les jouer devant le public du foyer. Ne s’en sentant pas la capacité, elle en a parlé à une travailleuse sociale de l’établissement, Priscille. Cette dernière a contacté l’animateur-théâtre du Théâtre du Puzzle, Pascal avec qui elle travaillait depuis plusieurs années. En ce mois de juin 2011, l'animateur-théâtre vient d'abord regarder puis écouter les demandes du groupe. Il propose des ateliers pour densifier le jeu des comédiennes et comédiens. 

C’est ce trio, Suzy, Priscille, Pascal, qui sera le moteur et la base d’accompagnement de la future compagnie qui n’en est alors qu’à ses balbutiements.  

En juin 2011, il n’est question que d’aider la petite troupe d’ «  écrivains » à monter leurs saynètes. Le travail d’atelier d’expression corporelle et vocale enthousiasme les participants. C’est ainsi qu’en septembre de la même année, s’ouvre un atelier hebdomadaire d’expression théâtrale qui a d’abord pour but de peaufiner le travail de comédien pour mieux jouer les saynètes déjà écrites dans les mois à venir. Ce travail d’atelier va complètement transformer le projet de base, l’enrichissant d’une expérience de jeu basée sur l’improvisation.

 Quelques Déniapés en février 2012 alors qu'ils n'étaient encore que l'atelier-théâtre du Renouveau

C’est ainsi que février 2012, l’atelier propose un spectacle d’impro au Renouveau qui obtient un beau succès, surprenant autant les résidents que le personnel présent. Au printemps qui suit est présentée la première création de la troupe « Colocs » issue des textes de l’atelier d’écriture. A ce moment de l’existence des Déinapés, personne ne sait que ce n’est que le début d’une grande aventure théâtrale. Le travail de comédien a surtout pour but de développer chez les résidents qui y participent une plus grande confiance en soi, une plus grande dignité de soi-même, l’envie de s’en sortir au mieux dans un mouvement collectif qui réveille le meilleur de soi, pour tout le monde y compris pour ceux qui animent le groupe. Un aller-retour permanent d'émotions et de meilleure compréhension de ceux qui nous entourent. 

C’est d’ailleurs pour cette pièce qu’un nom est donné à la troupe. Ce sera la Compagnie des Déniapés. Un logo est conçu, une page Facebook, un site Internet. L’aventure est lancée, elle ne s’est pas encore arrêtée. « Colocs » est jouée au foyer du renouveau, aussi au théâtre des Grésilles, au bal monté du festival Itinéraires Singuliers à Dijon,  au Festival de la Plaine au mois d’octobre 2012. C’est une révélation pour les membres de la troupe. Ils découvrent un monde joyeux de partage et d’enthousiasme à l’encontre de leur passé douloureux.

De fil en aiguille, d’année en année, certains partent, d’autres arrivent. C’est le mouvement de la vie. Ce sont près d’une soixantaine de personnes que la Compagnie des Déniapés a accueillies et accompagnées dans un mouvement fragile où parfois tout se joue sur un fil étroit, où la chute ou la rechute arrive parfois. Tant bien que mal, le plus souvent bien, la vie des Déniapés continue, leurs créations aussi…

Ce sera « Chienne de vie » en 2013, puis « Rue Clos d’eau » en 2014, « Gontran et Bertille, un conte déniapé » en 2016, « Maison close » en 2017, « L’Envers de Shakespeare » en 2019…

La Compagnie va aussi créer un festival art et réinsertion au Renouveau en 2015 et 2017, festival intitulé "Le Printemps du Renouveau" dans lequel les Déniapés présenteront leur pièce "Rue Clos d'eau" et seront  par ailleurs membres de équipe de bénévoles d'encadrement du festival. 

En 2017, la FAS (Fédération des Acteurs de la Solidarité) organise un colloque à Besançon sur le thème : "La participation des personnes accueillies : quelle mise en oeuvre ?". Sa responsable contacte alors l'association du Renouveau et la Compagnie des Déniapés pour qu'ils participent à ce colloque en tant qu'animateurs d'un atelier de présentation du travail théâtral dans le cadre de la réinsertion sociale. A cette époque, l'expérience de la compagnie est unique dans le secteur de la réinsertion sociale par le théâtre, et pas seulement eu Bourgogne. Rarement les groupes créés au sein des CHRS ou structures de ce type n'ont duré plus de deux ou trois ans. Problème de financement, de volonté parfois, d'adaptation au public ciblé... Au Renouveau, cela fait alors plus de 6 ans que ça continue avec la même énergie qu'au départ. La troupe de théâtre est clairement installée et ses projets se poursuivent chaque année. C'est la raison pour laquelle la FAS est intéressée par la présence de membres de la troupe pour expliquer comme cet atelier fonctionne. 

Ce colloque a lieu en semaine. Beaucoup des membres travaillent. Aussi ce sont Suzy et Michel qui se rendent dans le Doubs pour représenter la troupe. Outre la présence aux assemblées générales et les parties conviviales collectives, tous deux devront en atelier devant des représentants du secteur de la santé et de la réinsertion sociale (médecins, directeurs de CHRS, responsables de structures, travailleurs sociaux...). Ceux qui d'habitude expliquent au public en quoi consiste leur travail deviennent à présent eux-mêmes public. Pour Michel c'est une expérience hors du commun, lui qui a connu la rue et ses misères. Lui et Suzy parlent du travail des Déniapés, on les écoute, on leur pose des questions. Le but est de savoir ce qui fait que cette troupe pas comme les autres peut fonctionner sur une longue durée, comment rendre possible cette expérience de longue durée dans d'autres structures de réinsertion. 

Ce fut un moment important pour les Déniapés car, par cet évènement extérieur à leur vie au quotidien, ils ont pris conscience que leur existence avait une importance aux yeux des acteurs de la solidarité. 

Michel Tridon, membre et représentant des Déniapés, lors du Colloque à Besançon en 2017 présentant les Déniapés devant un public de médecins, directeurs de structures pour la réinsertion sociale, travailleurs sociaux, directeurs d'hôpitaux...

A l’orée des années 2015, grâce à Ricou qui était devenu modérateur dans l’association Dépendances 21, de nouvelles collaborations se mettent en place. Arrivent alors dans la troupe femmes et hommes venant de Dépendances 21. C’est un nouvel élan pour les Déniapés, un coup de booster incroyable. Le travail d’atelier et les créations prennent encore plus de consistance.

Puis arrive 2020… Presque deux ans d’enfermement et de silence. Malgré tout, la compagnie continue les ateliers… par visio, histoire de garder le contact, de ne pas se sentir seul. On s’invente d’autres façons de faire du théâtre, par caméra interposée. On se régale malgré tout des trouvailles que cet outil peut procurer, des choses qu’on ne ferait pas en vis-à-vis. On ne peut pas se voir en chair et en os, alors le jeu continue autrement.

Fin du confinement, ouverture des salles. Tout peut recommencer, avec précaution certes, mais c’est possible. Malheureusement la période de COVID a rebattu les cartes dans le milieu associatif. Les soutiens d’autrefois ne sont plus là. Les Déniapés se retrouvent comme des SDF. Pas de structure, pas de salle, impossible de  reprendre les ateliers. C’est l’association Bourgogne Franche-Comté Initiative Solidarité (BISOUS pour les intimes) qui reprend le flambeau, Elle intègre les Déniapés comme section théâtre de l’association. Par  sa domiciliation dijonnaise à la maison des associations, rue des Corroyeurs  (un grand merci à la mairie de Dijon), la troupe retrouve une salle, une structure qui la porte.

En plus, et c’est sans doute le plus important, c’est à ce moment-là que les Déniapés prennent contact avec le Rézo’Fêt’Art. C’est un peu comme un coup de foudre, au premier regard. La troupe s’y installe en parallèle à la maison des assos. Elle trouve dans cet espace du quai Nicolas Rolin une énergie formidable, un lieu où circulent beaucoup de monde, où se créent de nombreux projets. Cela correspond parfaitement à l’esprit de la compagnie.

Résultat : les Déniapés créeront « La Grande Tempête » en 2021 et « L’âme amère des Chaises en bois » au Festival Théâtr’O’Rézo en 2023. Par ailleurs, même si elle intègre toujours des personnes en difficulté de vie, elle s’est ouverte à toute personne désireuse de faire du théâtre et qui soit prête à partager les valeurs de la troupe.

Des chemins se tracent vers demain, yeux grands ouverts.

Des pistes se défrichent, au plaisir infini d’aller vers l’inconnu…